Composition du Conseil fédéral, vers un gouvernement à 5 partis ?

Le 5 décembre prochain, l’élection du Conseil fédéral amènera deux nouveaux membres pour remplacer Johann Schneider Amman (PLR) et Doris Leuthard (PDC). Bien que cette élection signifie un renouvellement dans les membres du gouvernement, sa composition partisane restera inchangée avec deux PS, deux PLR, deux UDC et un membre du PDC.  Cette formule « magique » est en place depuis 2003 avec une dérogation entre 2008 et 2016 causée par l’éviction de Christoph Blocher (UDC) et l’élection de Eveline Widmer-Schlumpf avec la création du PBD après son expulsion de l’UDC. En 2016, l’UDC a récupéré deux sièges au Conseil fédéral avec l’élection de Guy Parmelin. Cependant, depuis 1995, les Verts se sont imposés comme cinquième parti à l’Assemblée fédérale avec une présence particulièrement marquée au sein du Conseil national. Se basant sur l’indice Gallagher sur la disproportionnalité, cet article tente de montrer que la présence des Verts au Conseil fédéral au détriment d’un siège détenu actuellement par le PLR diminuerait la disproportionnalité entre la composition partisane des chambres fédérales et celle du Conseil fédéral.

La force des partis dans les chambres fédérales est supposée être étroitement liée à leur présence au Conseil fédéral. Alors qu’en 1848, lors de la fondation de l’État fédéral, les sept sièges étaient aux mains du PLR, la composition du gouvernement s’est adaptée à la composition des chambres fédérales. La figure ci-dessous montre le ratio entre la présence des partis au Conseil fédéral et la présence des partis à l’Assemblée fédérale[1]entre 1919 et 2018.

La figure présentée ci-dessus montre que la mise en place de la formule magique en 1959 (2 PDC, 2 PLR, 2 PS et 1 UDC) a largement diminué la surreprésentation du PLR au Conseil fédéral. Aussi, l’expulsion d’Evelyn Widmer-Schlumpf de l’UDC a amené une large sous-représentation de l’UDC qui a été corrigée en 2016. Aujourd’hui, on voit qu’alors que l’UDC a une représentation au gouvernement presque parfaite (R-score=1.004), le PDC est légèrement sous-représenté, le PS est surreprésenté et le PLR est largement surreprésenté avec une présence au Conseil fédéral plus d’une fois et demi supérieur à sa présence à l’Assemblée fédérale (Rscore=1.53).

Cependant, le PLR est aussi plus fortement représenté au Conseil des États (28.3% des sièges) qu’au Conseil national (16.4% des sièges). Dès lors, il est nécessaire de savoir si la composition du Conseil fédéral est supposée représenter la présence des partis au sein du Conseil des États, du Conseil national ou dans l’ensemble de l’Assemblée fédérale. La figure suivante présente l’indice Gallagher sur la disproportionnalité[2]entre la représentation des partis au Conseil fédéral et à l’Assemblée fédérale, au Conseil des États et au Conseil national entre 1919 et 2018.

La figure présentée ci-dessus montre que dans la période postérieure à 1950, les changements de composition du gouvernement se sont faits au détriment du Conseil des États. En effet, la figure montre que, lors de la recomposition du gouvernement de 1959, alors que la disproportionnalité par rapport à la présence des partis à l’Assemblée fédérale et au Conseil national a largement diminué, celle du Conseil des États a au contraire augmenté. Le phénomène est le même lors de la recomposition de 2003. Cela indique que la volonté derrière les recompositions du gouvernement est nettement en faveur de l’Assemblée fédéral, voir du Conseil national.

D’un côté, le PLR est depuis 2003, à nouveau le parti le plus surreprésenté au gouvernement. D’un autre côté, les Verts se sont imposés comme 5èmeparti à l’Assemblée fédéral depuis 1995 avec un record de 20 sièges au Conseil national entre 2007 et 2011. Dès lors, il est légitime de se demander si la disproportionnalité entre la présence des partis à l’Assemblée fédérale et celle au Conseil fédéral ne serait pas moins élevée si les Verts possédaient un siège au détriment du PLR. La figure présente l’indice Gallagher sur la disproportionnalité entre la présence des partis au Conseil fédéral et leur présence à l’Assemblée fédérale avec la composition actuelle (2 PLR, 2 PS, 2 UDC et 1 PDC) et dans le cas d’une composition contre factuelle ou les Verts posséderaient un siège au détriment du PLR dans la période comprise entre 1991 et 2018.

La figure indique qu’après les élections fédérales de 2007, le gouvernement serait plus représentatif de la composition partisane de l’Assemblée fédérale avec la composition contre factuelle qu’il ne l’est actuellement. Même si après les dernières élections fédérales de 2015, la différence de disproportionnalité entre les différentes compositions de gouvernement est devenue minime, la présence des Verts au Conseil fédéral aurait tout de même un impact positif sur l’équilibre entre la représentation des partis à l’Assemblée fédéral et au gouvernement. Cette différence est encore plus marquée si l’on considère seulement la composition du Conseil national pour le calcul de l’indice Gallagher.

Même si d’un point de vue purement arithmétique, la présence des Verts pourrait potentiellement se justifier, il reste du chemin à faire avant qu’un gouvernement à 5 partis ne se forme. En premier lieu, l’élection du Conseil fédéral est votée par l’Assemblée fédérale. Or, la majorité de centre droit (PDC, PLR et UDC) sera probablement fortement opposée à la perte d’un siège au gouvernement ce qui ne permettra pas un renouveau immédiat. De plus, alors que le PDC est sous représenté, on peut justifier le deuxième siège du PLR comme un l’équilibre apporté en faveur de la présence du centre droit au gouvernement. En effet, si les verts possédaient un siège au Conseil fédéral, les deux partis de gauche seraient surreprésentés (PS et Verts) alors que les deux partis de centre droit (PLR et PDC) seraient sous-représentés. Quoiqu’il en soit, même si un changement massif des représentants à l’Assemblée fédérale est peu probable, il est tout de même envisageable que les élections fédérales de 2019 nous amènent vers une discussion pour un gouvernement à 5 partis, ce qui serait une première dans l’histoire de la Confédération Helvétique.

Références :

Littérature

Bochsler, Daniel and Pascal Sciarini (2006). “Neue Indikatoren zur Bestimmung der arithmetischen Konkordanz.” Swiss Political Science Review 12(1): 105–22.

Gallagher, Michael (1991). “Proportionality, disproportionality and electoral systems.” Electoral Studies 10(1): 33–51.

Lijparth, Arend (2012). Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in  Thirty-Six Countries, 2nd edn. New Haven: Yale University Press.

Ruedin, Didier (2013). Why Aren’t They There? The Political Representation of Women,  Ethnic Groups and Issue Positions in Legislatures.Colchester: ECPR Press.

Stojanović, Nenad (2016). “Party, regional and linguistic proportionality under majoritarian rules: Swiss Federal Council elections.” Swiss Political Science Review22(1), 41-58.

 

Data

OFS, Office fédérale de la statistique (2018) “Élections au Conseil de Etats : répartition des mandats par parti”, retrieve from :  https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/politique/elections/historische-wahlen-zeitreihen.assetdetail.81618.html, consulted the 28th November 2018.

OFS, Office fédérale de la statistique (2018) “Élections au Conseil de national : répartition des mandats par parti”, retrieve from :  https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/politique/elections/historische-wahlen-zeitreihen.assetdetail.217188.html, consulted the 28th November 2018.

[1]Voir Ruedin (2013). Le R-score est calculé par la formule \frac{s_i}{v_i} ou sreprésente la part de siège du parti au Conseil fédéral et vreprésente la part de siège du parti à l’Assemblée fédérale. Le R-score varie entre 0 et ∞. 0 signifie aucune représentation, 1 signifie une représentation parfaite et un R-score supérieur à 1 signifie une surreprésentation.

[2]Voir Gallagher (1991). L’indice Gallagher (Ig) est calculé sur la base de la I_{g}=\sqrt{\frac{1}{2}\sum(v_i-s_i)^2} , ou vi représente la part des sièges détenus par le parti i dans la chambre fédérale concernée et si représente la part des sièges du parti i au Conseil fédéral. Cet indice varie entre 0 et 100. 0 signifie une représentation parfaite et 100 signifie aucune représentation. Borschler & Sciarini (2006) ont proposé une mesure plus fine qui tient compte du nombre de siège au gouvernement. Lijparth (2012) propose une amélioration de l’indice Gallagher qui exclut les petits partis. Pour une application au Conseil fédéral, voir Stojanović (2016).